Berlin, mercredi matin. Dans un centre de conférence, dans l'ancien quartier juif de Berlin, à quelques pas du célèbre incubateur Rocket Internet (qui a créé Zalando, eDarling et CityDeal), 300 entrepreneurs et investisseurs se sont réunis pour échanger autour du futur des monnaies cryptographiques et surtout de Bitcoin. Alors que depuis deux ans, chaque semaine, le monde bien établi de la finance annonce la mort du réseau Bitcoin, ce petit groupe d'irréductibles entrepreneurs et développeurs entrevoient un futur très différent...
J'étais présent à cette conférence essentiellement fréquentée par le public européen intéressé par les discours de quelques experts internationaux. J'ai été rapidement conquis par la ferveur des entrepreneurs et des investisseurs qui venaient partager leurs visions sur le futur des monnaies cryptographiques.
A Berlin comme dans les autres capitales fédérales, les Allemands ont développé un écosystème bien développé. Se rencontrant régulièrement dans des « meet-ups » de startups dédiés au nouveau réseau cryptographique du Bitcoin, ils échangent sur les possibilités des monnaies virtuelles. Dans cette communauté, ce ne sont plus seulement les experts en sécurité des premiers temps (hackers en français), on rencontre maintenant des anciens traders, des développeurs, des entrepreneurs cherchant à maîtriser ce qui apparaît comme un nouvel eldorado, où comme certains osent le dire un nouvel internet.
Pendant la conférence, sur la scène, une trentaine de présentateurs provenant de 14 pays, viennent exposer leurs derniers développements sur des sujets aussi divers que les nouvelles avancées en sécurité, les nouvelles technologies matérielles pour miner, les aspects légaux et de régulation. Des fonds de capital risque débattent de la façon dont ils commencent à fournir des fonds aux US et en Europe à des entrepreneurs de talents qui développent des entreprises basées sur le Bitcoin.
Plusieurs thèmes sont abordés pour décrire technologiquement les évolutions possibles du réseau. Si je devais en choisir un seul, je detaillerai volontiers les nouvelles applications qui fonctionnent audessus du réseau Bitcoin.
Les développeurs participent à l'émergence de nouvelles applications qui sont de nouveaux services autonomes, « vivant » dans le résau Bitcoin (la blockchain). Je les avais déjà décrit dans mon précédent billet. Un des exemples, présenté à Berlin, sont les Colored Coins et MasterCoin. Ce sont des protocoles qui permettent de décrire un certificat de propriété électronique et de gérer ses échanges. Grace à ces nouveaux « coins » qui disposent de propriétés, on peut donc décrire un objet physique ou un contrat. Et donc transférer cette propriété ou bien la découper en plus petites parties.
Prenons l'exemple d'une société qui serait identifiée par un certificat de propriété dans le réseau bitcoin. Le propriétaire peut décider de découper en milliers d'unités ce certificat et d'échanger ces parts grâce à ces nouveaux services. Une entreprise peut émettre des parts d'un emprunt et le proposer dans un système innovant de crowdfunding. Un trader peut créer un contrat, une option et proposer de le vendre et de suivre cette vente. Une expérimentation très réussie a eu lieu avec des développeurs français qui ont créé des options binaires que l'on peut acheter dans le réseau ( BTC ORACLE ).
Les nouveaux propriétaires disposent maintenant d'une « part » de l'actif qu'ils peuvent à nouveau échanger dans le réseau. Ces nouvelles applications qui fonctionnent au-dessus du réseau Bitcoin proposent donc de développer une organisation distribuée et autonome qui est une bourse d'échange fonctionnant sans autorité centrale, sans banque, sans bourse.
Rappelez vous que le réseau Bitcoin n'est en fait qu'un grand livre de compte distribué et autonome, sécurisé par des principes cryptographiques, l'idée des développeurs est de créer des applications autonomes et distribuées qui vont offrir des services qui vont bien au-delà de la monnaie.
D'autres réflexions plus politiques sont venues aussi animer les débats. Et sur ce sujet, c'est plutôt une approche défensive qui anime tous les acteurs du monde Bitcoin.
En 2014, Bitcoin risque d'être un sujet très visible dans l'internet et dans l'économie.
La vision que nous avons de ce qui se passe dans chacun des pays n'est pas toujours correctement décrite par les médias et les experts nationaux.
A Berlin, une étude a été présentée par le conseil juridique de la Bitcoin Foundation. Pays par pays, cette étude précise l'état des régulations en cours. Ceci montre que les médias et les experts nationaux couvrent assez mal le sujet. Plusieurs pays ont montré des réticences des craintes, des alertes qui se sont souvent traduites dans la presse mondiale par du bannissement pur et simple. Que ce soit en Chine ou en Russie, ou aux États-Unis, en regardant dans les détails, il apparaît que la position du régulateur est souvent plus modérée et surtout plus nuancée que ce qu'il est généralement décrit.
Dans un second temps, Bitcoin prépare sa mue pour toucher le grand public. Tous les acteurs impliqués dans cette technologie sont unanimes ils doivent faire des efforts tangibles pour que le citoyen puisse expérimenter les crypto-monnaies de façon rapide et simplifiée. Si, comme le prétendent certains, le Bitcoin doit aider les quelques 6,5 milliards d'êtres humains qui n'accèdent à aucun service bancaire, il faudra bien un peu de souplesse et de facilité d'usage.
Mais ce monde bouge à une vitesse incroyable. Depuis le mois de février, ZipZap propose de pouvoir échanger des livres sterling en bitcoin dans plus de 28 000 points de ventes en Angleterre. Demain, plusieurs pays d'Europe, la Russie en tête, disposeront de ce dispositif très simple où vous transférez de petits montant d'argent grâce au réseau Bitcoin.
Mais, les avocats américains et européens présents dans la conférence ont pris la mesure de la réaction qui se prépare. Ils sont unanimes : les temps vont devenir durs et violents pour le Bitcoin. Sur le front de la régulation et de l'encadrement de son développement, le régulateur sera intraitable et voudra faire des exemples, pour faire augmenter le risque de démarrer des business dans ces domaines.
Plus le réseau prend de l'ampleur, plus il réussit à convaincre un grand nombre d'utilisateurs qui vont le prendre en main pour échapper aux banques et aux organisations centrales de tout genre, plus les développeurs vont proposer de nouvelles applications pratiques et avec des bénéfices immédiats, plus le régulateur devra à la fois protéger les états des malversations que le réseau n'interdit pas intrinsèquement (blanchiment, évasion fiscale) sans faire tarir la fabuleuse source d'innovation que l'on commence tout juste à apercevoir.
Tout ceci est très éloigné de la spéculation sur la valeur du Bitcoin qui n'est qu'un leurre pour faire oublier que le réseau Bitcoin est en fait l'internet de la monnaie et non pas la monnaie de l'internet.
Tout le bruit fait autour de la valeur du Bitcoin nous éloigne de la réalité de cette technologie : elle est source d'innovations dont les développeurs et les citoyens vont se saisir pour inventer un monde nouveau. Peut-être un monde sans banque.
Impossible ? On disait pareil des encyclopédies papier, la dernière édition de Universalis est sortie l'année dernière en 999 exemplaires numérotés.
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